-701 mètres
Le 20 Novembre 2022, Théo Mavrostomos et le petit monde de la plongée ont fêté les 30 ans de ce record mondial, atteint au cours de l’opération de la COMEX baptisée Hydra 10 en 1992
Théo Mavrostomos – Interview
Laure Bolmont : Ce record, que représente t-il pour vous, 30 ans plus tard ?
Théo Mavrostomos : « 30 ans plus tard ? Et bien il est encore à moi et m’appartient toujours !
Je n’y pense plus, mais quand on m’en parle, ça me donne le sourire. C’est une sacré reconnaissance quand je suis qualifié de « légende vivante de la plongée »! (rire).
L.B : Quel souvenir en gardez-vous ?
T.M : Ce record pour la première fois a mis en lumière le métier de scaphandrier : la plongée Hydra 10 s’est déroulée dans un décor de cinéma, caméras braquées sur nous, équipe médicale aux petits soins, scientifiques mobilisés nuit et jour … et c’était tellement plus facile que ce que j’avais vécu durant 17 ans en travaillant off-shore, dans les oubliettes de l’exploitation pétrolière.
L.B : Etiez-vous aquanaute ou scaphandrier ?
T.M :Scaphandrier la plupart du temps sur les chantiers et aquanaute à l’occasion de ces plongées d’essai. Nous étions des aventuriers, des explorateurs, mais attention, jamais des cobayes de la science. Notre objectif était de permettre une amélioration de nos conditions de travail à grande profondeur, en testant de nouveaux gaz et de nouvelles procédures. A cette époque-là, nous étions les seigneurs d’une industrie qui dominait l’économie mondiale. Nous étions comparables à des cosmonautes. Sauf qu’il nous fallait plus de temps de décompression pour regagner « la surface » qu’il n’en faut pour revenir de la Lune ! (sourire)
L.B : En quoi cette expérience visait-elle à améliorer vos conditions de plongée :
T.M : Le mélange de gaz que nous avons testé était plus facile à respirer et devait permettre de descendre travailler à de plus grandes profondeurs. Bien sûr nous étions en simulateur hyperbare, pas en pleine mer, mais cela ne changeait rien. Nos corps et notre mental étaient mis à rude épreuve de la même manière.
Passer des heures à travailler sous l’eau est contre-nature. Il faut affronter l’élément
Théo Mavrostomos
L.B : Que diriez-vous du métier de scaphandrier ?
T.M : D’abord il faut être capable quitter sa femme, ses enfants pour un voyage qui à chaque fois pose la même question : est-ce qu’on en reviendra ? Arrivé sur le chantier où que l’on soit dans le monde en pleine mer c’est le même rituel, car on va vivre trois semaines en caisson. La compression démarre, le confinement aussi. On gagne le fond dans la tourelle par plusieurs dizaines ou centaines de mètres. On sort travailler 8 heures par jour dans la pénombre et l’eau glacée, prisonnier d’une combinaison qui nous entrave, relié par un ombilical qui nous apporte le mélange à respirer. En rentrant « du boulot, » on regagne le caisson exigu qui nous sert de logement, et on mange les plats qui nous sont envoyés par la surface. On dort en attendant de reprendre son tour, 16 heures plus tard. J’étais plongeur-soudeur, donc ma mission consistait à assembler de grosses pièces et des pipelines. J’étais un ouvrier spécialisé du fond des mers.
L.B : La décompression est-elle un élément essentiel de votre métier ?
T.M : Bien sûr : j’ai passé au total 5 ans de ma vie professionnelle enfermé dans un caisson.
C’est cela que les gens ne savent pas : que les scaphandriers vivent dans une dimension espace-temps différente du commun des mortels. Quand vous avez fini votre chantier, vous pouvez être enfermés dans un caisson durant 4 jours sans pouvoir en sortir et pourtant votre caisson est posé là, sur la barge et on peut vous voir à travers un hublot sans jamais vous atteindre. Ouvrir le caisson avant la fin de la décompression, c’est vous condamner à mourir.
Ce métier, on le fait par passion, mais il n’a pas de prix
Théo Mavrostomos
L.B : Malgré sa pénibilité et sa dureté, vous n’avez jamais renoncé à faire ce métier ? Pourquoi ?
T.M : Ce métier, on le fait par passion, mais il n’a pas de prix. Aucun salaire ne sera jamais à la hauteur des risques encourus. Il y a tellement de sources de dangers. On est à la merci du matériel, des équipes de surface, de l’erreur humaine ou de la défaillance technique. Passer des heures à travailler sous l’eau est contre-nature, il faut affronter l’élément. Mais l’on sort victorieux à chaque fois que l’on termine une journée de travail, tellement fiers d’avoir lutté et réussi une sorte d’impossible. Cette satisfaction là, non plus, n’a pas de prix. Même si personne d’autre que nous, les scaphandriers, ne le mesure.
L.B : Vous n’avez jamais tourné le dos au milieu de la plongée profonde ?
T.M : Après avoir raccroché, j’ai fait de la formation pour transmettre ce que j’ai appris sur le métier de scaphandrier, parce que c’est un beau métier et qu’il faut avant tout défendre la sécurité de ceux qui le pratiqueront. Je suis aux portes de la retraite, et je ne vois plus ma fin de carrière comme une mise sur la touche. Même si une page s’est écrite il y a 30 ans, elle s’est tournée parce que le monde a changé mais je suis heureux d’avoir ce record à emporter avec moi, comme un trophée. Il est temps pour moi de raconter mes mémoires, non ?…